Auteur
Ali Alaoui Mdaghri
Membre au Cercle de l'innovation, Expert en communication & Facilitateur Intelligence Collective
Il est des concepts qui, lorsqu’on les découvre, sont semblables à un continent : on ne peut plus les ignorer, on ne peut que les explorer. Il en va ainsi de l’intelligence émotionnelle, un des concepts modernes qui a fait, fait et fera parler de lui pour très longtemps. Pour ma part, il a tout simplement révolutionné ma vie !
Rappelons brièvement à quoi renvoie l’intelligence émotionnelle, selon l’un de ces théoriciens les plus fameux, Daniel Goleman, qui écrivit un livre éponyme sur le sujet paru dans les années 90 : « Dans la mesure où nos émotions bloquent ou amplifient notre capacité de penser et de planifier, d’apprendre en vue d’atteindre un but lointain, de résoudre des problèmes, etc., elles définissent les limites de notre aptitude à utiliser nos capacités mentales innées et décident donc de notre avenir. Et dans la mesure où nous sommes motivés par l’enthousiasme et le plaisir que nous procure ce que nous faisons (…), les émotions nous mènent à la réussite. C’est en ce sens que l’intelligence émotionnelle est une aptitude maîtresse qui influe profondément sur toutes les autres en les stimulant ou en les inhibant. »
Une aptitude maîtresse
Aptitude maîtresse qui, selon Goleman, détermine bien plus que tout autre élément (comme le Quotient Intellectuel, le fameux QI), la réussite dans la vie. Elle repose sur 5 éléments, chacun constitué de plusieurs compétences-clés : la conscience de soi (la capacité à comprendre ses émotions, à reconnaître leur influence à les utiliser pour prendre des décisions), la maîtrise de soi (la capacité à maîtriser ses émotions et à s’adapter à l’évolution d’une situation), la motivation (la tendance à poursuivre des objectifs avec énergie et persistance), l’empathie (la capacité d’identifier et de comprendre la structure émotionnelle des autres) et les compétences sociales (l’habileté dans la gestion des relations et la construction des liens sociaux).
On pourrait, somme toute, dire que l’intelligence émotionnelle englobe la quasi-totalité des fameuses soft skills, ces compétences dites douces qui tiennent le haut du pavé de la littérature managériale actuelle. En regroupant ces compétences dans un système cohérent, une intelligence, on ouvre une perspective supplémentaire : la possibilité de la maîtriser et d’en faire une aptitude complète et qui se suffit à elle-même.
La clé du succès
Tout au long de son livre, Goleman s’attèle à démontrer que les personnes qui ont eu le plus de succès dans la vie sont celles dotées d’un niveau d’intelligence émotionnelle élevée, quand bien même leur QI serait dans la moyenne. Une révolution à l’époque où le test de QI servaient autant dans l’accès aux grandes écoles, qu’aux recrutements dans l’armée ou dans les entreprises… Les exemples fourmillent de ces personnes dont la carrière a été stoppée net par un manque de connaissance et maîtrise de ses émotions dans des situations critiques, par l’incapacité à tisser des liens sociaux, le manque d’empathie envers ses collègues ou l’absence d’une motivation élevée…
Pas d’état d’âme s’il vous plaît !
Les émotions, positives ou négatives, ont longtemps été bannies dans les entreprises, où un comportement émotionnellement neutre était la norme. L’entreprise se voulait un lieu purement rationnel, à peine suffisamment convivial pour garantir le niveau d’adhésion nécessaire de la part de collaborateurs qui, eux sont la pour une raison claire et précise : travailler vite, bien et faire gagner un maximum d’argent à l’entreprise, pour une somme d’argent et une progression hiérarchique proportionnelles à l’effort consenti. Les états d’âmes sont remisés au placard. Les burnout, dépressions, crises d’angoisse et attaques de panique sont vus comme des comportements presque déviants ! A titre d’exemple, le stress n’a été réellement pris en considération dans les pays européen comme un risque psychosocial affectant les salariés que vers le début des années 2000. Mais, petit à petit, une prise de conscience s’est opérée et les nouvelles générations ont revendiqué plus de bien-être au travail, plus de sens, plus de possibilités de s’épanouir. Les théories du management opèrent leur mue et commence à promouvoir un discours plus respectueux de la nature humaine, des besoins sociaux, psychologiques et affectifs des employés, en rappelant aux dirigeants qu’un collaborateur épanoui fait gagner davantage à son entreprise, que ce soit en terme de gains financiers (meilleure productivité) ou de réputation (marque employeur).
La révolution douce
Il n’en fallait pas plus pour qu’explosent les notions de bien-être et de qualité de vie au travail, de management bienveillant ou positif, de best place to work et de Chief Happiness Officer etc…Le foisonnement d’articles, de livres et d’émissions sur le sujet ces quelques dernières années est la conséquence directe de plusieurs décennies pendant lesquelles la dimension psychoaffective du collaborateur a été tout simplement niée !
En fait, les émotions ont toujours eu leur place dans les organisations. Les personnes les plus habiles ont su naviguer dans le monde professionnel avec beaucoup de succès grâce à elles. Mais ce qui caractérise l’époque actuelle, c’est qu’une véritable révolution douce est en train de s’opérer sous nos yeux, presque de la même force que celle de l’intelligence artificielle. L’intelligence émotionnelle est en train de transformer le rapport des individus au travail comme le fait l’intelligence artificielle du rapport de l’entreprise à la data. Les champions de la maîtrise de l’intelligence émotionnelle s’élèveront au top des hiérarchies, tout en douceur, par la force de la persuasion, de la motivation, de la communication (autant de compétences relevant de l’intelligence émotionnelle).
Intelligence émotionnelle et collective : le croisement fertile
Aujourd’hui, elles sont revendiquées haut et fort, individuellement…mais aussi au niveau organisationnel. Les formations sur les soft skills pullulent en entreprise ; les processus de recrutement leur font la part belle ; les grandes réunions de collaborateurs (conventions, team-building, etc…) deviennent les lieux d’expressions privilégiés des émotions ; les discours des dirigeants font appel à toutes les nuances émotionnelles pour capter l’attention et susciter l’adhésion des collaborateurs à l’histoire dans laquelle ils veulent les embarquer. Et enfin, la notion de « tribalisme post-moderne » (« forme archaïque dans la constitution des liens sociaux, où le sentiment d’appartenance et l’affectif dominent », selon le sociologue Michel Maffesoli) gagne une place privilégiée dans la conception des relations au travail.
Et pour tirer pleinement partie de cette transformation, les entreprises ont tout intérêt à ouvrir le champ de l’intelligence collective à celui de l’intelligence émotionnelle. Une démarche d’intelligence collective qui ne prend pas en considération la dimension émotionnelle, qu’elle soit au niveau du groupe ou de l’individu, a très peu de chance de réussir. En créant un climat émotionnel favorable à l’émergence de l’intelligence collective, l’entreprise démultiplie les opportunités d’imaginer des solutions pertinentes, innovantes et human centric. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si des techniques majeures d’intelligence collective telles que le design thinking recourent à des notions telles que l’empathie. En explorant un problème dans la dimension intérieure de l’utilisateur, on augmente les chances de saisir le véritable enjeu qui se cache derrière une situation.
Le succès a un prix
Une des conditions de succès d’une démarche d’intelligence collective est la qualité des animateurs (ou facilitateurs, selon le jargon spécialisé). Individus dotés de techniques d’animation innovantes (Design thinking, Serious games, méthodes agiles etc…), ils sont avant tout des champions des soft skills. Capables de créer un climat positif dans un groupe, de distribuer la parole correctement, de faire « accoucher » d’une idée ou de faire coopérer des personnes de tout bord, les facilitateurs, qu’ils soient internes ou externes, vont jouer un rôle fondamental dans les années à venir pour accompagner les entreprises sur la voie de la transformation qu’elles sont en train de vivre.
Mais la plus grande condition de succès est évidemment le soutien plein et entier des dirigeants de l’entreprise, appelés à ouvrir eux-mêmes leur esprit à l’innovation dans la façon de mobiliser le corps social. Il faut du courage, de la profondeur de vue et de la persévérance, car ce genre de démarche peut susciter de la méfiance, buter sur des problématiques méthodologiques et entraîner des conséquences sur le fonctionnement des organisations, la nature des produits et services vendus ou la politique managériale. A mon sens, la trajectoire est tout simplement inévitable et seule une attitude curieuse, positive et volontaire permettra d’en tirer pleinement partie.
Tout comme pour l’intelligence émotionnelle, l’intelligence collective est un nouveau continent qu’il n’est plus possible d’ignorer une fois que l’on y a mis le pied. Les deux combinées, voire même les trois si l’on y ajoute de l’intelligence artificielle, sont réellement les ingrédients majeurs du succès de l’entreprise de demain. Mais l’histoire s’écrit aujourd’hui…
prend« Quand les gens sont investis financièrement, ils veulent un retour. Quand les gens sont investis émotionnellement, ils veulent contribuer. » Simon Sinek
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