Auteur
Houda Amrani
Experte au Cercle de l'innovation, Directrice ressources humaines & Experte RH et HSE
« Chaque intelligence individuelle, naît de la coopération collective de milliards de neurones, chaque intelligence collective naît de la coopération de nombreux individus » Edgar Morin
Bien plus qu’on ne le pense, dans certaines organisations, les dirigeants peuvent percevoir l’intelligence collective comme une menace. Leur crainte ? Que des collaborateurs qui travaillent trop étroitement et qui ont l’opportunité de réfléchir ouvertement en viennent à remettre en question le management de la hiérarchie.
Dans ces structures, les modes de travail eux-mêmes sont pensés pour éviter que cette possibilité se produise. Face à l’avantage évident que procure un environnement maîtrisé et sans remous, une pelletée d’inconvénients : le cloisonnement, la rétention d’information, la rumeur, l’absence d’autonomie, d’innovation et de créativité, entre autres. La possibilité d’exprimer son talent, ses savoir-faire et savoir-être est très fortement limitée.
Avec son arrivée subite et violente, la crise du COVID-19 vient perturber toutes les organisations, quel que soit le niveau d’impact sur l’activité. Toutes ont dû apprendre de toute urgence à travailler différemment, à coopérer différemment, à produire et à vendre différemment. Le tout dans un environnement fragilisé, autant économiquement que socialement et psychologiquement. Du point de vue des ressources humaines, il a clairement été démontré durant cette crise que l’entreprise a besoin de ses collaborateurs et les collaborateurs ont besoin de leur entreprise, à tous points de vue.
Et à la base de ce besoin mutuel, la nécessité d’avoir un vrai contrat de confiance : l’entreprise a confiance en le collaborateur qui maintiendra sa productivité et son engagement même à distance, et le collaborateur croit que son entreprise fait le nécessaire pour préserver son emploi et garantir sa santé et sa sécurité. Et la distance a rendu plus que jamais nécessaire de conserver des liens solides les uns avec les autres. Les managers et les collaborateurs ont dû jouer pleinement leur rôle dans une forme de solidarité et d’union sacrée face à la crise.
Ces mois d’incertitude à cause de ce climat instable qu’a imposé le Covid-19 ont permis de recentrer sur l’essentiel. Beaucoup d’entreprises ont essayé le mieux possible de choyer leurs collaborateurs (mise en place des cellules d’écoute et de soutien, programmes de bien-être, routines de management positif…). Soudainement, l’employé est au centre de l’organisation et à son tour il place son entreprise au centre de sa motivation, car il le sait bien : si son entreprise s’écroule, il sera emporté avec elle.
Qu’en sera-t-il après la crise ? Allons-nous revenir aux anciennes pratiques du travail anti-covid ? Est-ce que ce sera seulement possible ? La tentation pourrait être forte, mais une évidence s’impose : quelque chose de profond a réellement changé dans l’esprit individuel et collectif des collaborateurs. Une
nouvelle façon de travailler, dans le cadre d’un nouveau contrat liant le salarié à son entreprise sont en train d’émerger, car les besoins et les attentes changent également.
Le besoin de solidarité, de compassion et d’union est devenu vital. Le besoin d’une réponse collective à des problèmes complexes est devenu plus fort. Ce sont là les ingrédients de l’intelligence collective : un lien fort du collectif pour résoudre les problèmes auxquels le groupe doit faire face. On peut espérer que les organisations fassent évoluer leur rapport aux employés en leur permettant davantage d’exprimer leur talent, dans le groupe ou individuellement. Les entreprises peuvent profiter de cette crise pour se guérir de plusieurs maux qui la tourmentaient auparavant, en rebattant les cartes et en faisant évoluer leur culture d’entreprise pour la rendre plus participative.
Les collaborateurs sont en général très fiers d’appartenir à une entreprise où leur voix est entendue et compte dans le processus décisionnel. L’engagement est boosté et par conséquent leur productivité et leur performance aussi.
Les dirigeants doivent œuvrer à renforcer les liens et à construire la confiance. Avec une démarche d’intelligence collective volontaire, la première pierre est posée. Chaque employé peut ainsi contribuer en fonction de son intérêt et de son expertise sur différents sujets impactant l’organisation. En impliquant les collaborateurs dans la construction de la démarche d’intelligence collective (sur les thématiques à traiter, les techniques à déployer, les résultats à atteindre…), il est possible de renforcer la réussite de ce projet en suscitant l’adhésion avant même la mise en œuvre effective. Le déploiement gagnera en crédibilité et en engagement de la part des collaborateurs. Puis, en utilisant l’output de la démarche pour traiter de réelles problématiques, avec une communication régulière sur l’implémentation et les résultats, le cercle vertueux est installé.
Le monde d’aujourd’hui plus que jamais nous invite à repenser le rapport entre l’organisation et les collaborateurs, autour de ces deux piliers que sont les soft skills (au niveau individuel) et l’intelligence collective (au niveau du groupe). Ce sont les deux pieds qui permettront d’avancer dans le monde incertain dans lequel nous vivons. Si celui des soft skills a déjà fait du chemin dans l’esprit des dirigeants, celui de l’intelligence collective doit encore lui emboîter le pas pour que l’équilibre se créé et permette réellement d’avancer !